Des vagabonds dans des cabanes de mousse, un policier qui gagne au loto, une aristocrate déshéritée qui veut retrouver son rang, un voleur blessé qui ne songe qu’à se venger, et enfin un ananas, objet de luxe et de désir absurde, forment la ronde sans fin de cette humanité en lutte pour sa survie.
Chef-d’œuvre peu joué de Kurt Weill, ce faux opéra en trois actes est l’apogée de la collaboration entre le compositeur et le dramaturge Georg Kaiser.
Il est créé en Allemagne le 18 février 1933. Hitler est chancelier depuis le 30 janvier. La presse nazie se déchaine contre le musicien « dégénéré » Weill et son complice Kaiser. Après l’incendie du Reichstag les représentations sont suspendues et Weill, puis Kaiser quittent rapidement l’Allemagne.
Réfugié à Paris Weill fait donner trois songs du Lac d’argent à la salle Pleyel, provoquant une émeute et le honteusement fameux « Vive Hitler ! » de Florent Schmitt.
Puis la partition tombe dans un semi-oubli incompréhensible.
Cette œuvre marque ainsi la fin de l’extraordinaire vie artistique de la république de Weimar. La fin d’un monde.
Le lac d’argent est une « pièce populaire » (Volksstück) parlée et chantée qui garantit à la musique une place prépondérante. Depuis L’opéra de quat’sous (1928) le style musical de Weill s’est décanté. Les développements symphoniques et des plages chorales enserrent le drame, et les fameux songs à la Weill prennent l’allure de chansons de rue revendicatrices, ou jouent au contraire du contrepoint ironique dans de cyniques tirades matérialistes.
C’est une partition fortement contrastée et d’une très grande puissance expressive.
Dans Le lac d’argent c’est bien sûr la grande dépression de 1929 qui constitue l’arrière-plan, même si la réalité sociale s’y présente sous une forme non réaliste, mais symbolique. Adieu de Kurt Weill à l’Allemagne nazie, ce conte d’hiver est une œuvre d’une étonnante actualité sur l’emprise de l’argent, la colère née de la faim, et les pouvoirs surnaturels de la fraternité.
Elle reste aujourd’hui d’une acuité troublante.
Le travail de Nicolas Rouxel-Chaurey se constitue de matériaux dits précaires, tels que des journaux, des livres de poésie, des lettres manuscrites, de la ficelle de facteur et des cagettes. L’idée de matériau pauvre, de récupération et sans valeur fait partie de sa démarche artistique. Ce sont alors ces «sculptures» de papier qu’il livre à la nature dans l’idée que cette dernière opère dessus un travail de transformation, avec une intervention humaine très limitée. Il met dehors ce à quoi il tient le plus.
Son œuvre est une métaphore de notre rapport à l’existence et l’une des questions sous-jacentes à ses interventions est celle de l’humanité dont on peut être capable. Comment prendre soin, panser des plaies, soulager un martyr subi ? La recherche d’un havre, d’un refuge est également une notion très présente dans ce travail. Ses maisons de papier sont comme une invitation à réfléchir sur la connaissance, sur les mots fondateurs : refuge, hospitalité, lois, liens, lieux. Le parti pris de ces constructions s'appuie sur la discrétion, c'est à dire le rendez-vous avec ce qui n'a pas de qualité, donc qui a toutes les qualités : l'humilité, la modicité.
Que ce soit dans ses maisons de papier ou ses «arbres-poupées-totems», le travail de Nicolas Rouxel-Chaurey, éloge du dénuement et de la lenteur, éloge de la fraternité, trouve des échos instantanés avec l’œuvre de Kaiser et Weill.
Création 2016
Théâtre musical
Musiques de Kurt Weill
Tout public à partir de 10 ans
Durée 1h
Kurt Weill : musique
Gilles Chabrier : mise en scène
Flûte, chant et scie musicale / rôle de Fenimore : Christine Comtet
Piano, chant / rôle de la baronne von Luber : Sylvie Dauter
Violon, alto, chant / rôle du baron Laur : Antoinette Lecampion
Hautbois, chant / rôle du vagabond Séverin : François Salès
Violoncelle / rôle du gendarme Olim : Joël Schatzman
Nicolas Rouxel : scénographie
Céline Pigeot : costumes
Emmanuel Sauldubois : création lumière
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