Les ballets de Chostakovitch passés à la machine...
Les années 20, 30, 40 en Russie. Staline est au pouvoir. Et Chostakovich compose. Tantôt adulé, tantôt haï. Tantôt hymne international pour la liberté, tantôt "galimatias musical". Un morceau peut plaire ou déplaire, au gré des humeurs du Petit père des peuples. La peur au détour des notes. L'arbitraire.
Nous voici dans une «usine à musique». Chaque musicien-ouvrier, attaché à une vaste machine, produit de la musique à la chaîne sous l’emprise d’un contremaître autoritaire.
Une usine où l'on peut être récompensé, viré, remplacé, où l'on peut s'endormir et rêver aussi… ou encore se rebeller et saboter...
Un univers hérité du burlesque, des musiques qui passent d’un galop de cirque à la tensions des symphonies, une scénographie inspirée par le constructivisme des années 20… Charlot lui-même s’y serait-il retrouvé ?
"Les musiques des ballets choisies par les musiciens proposent des situations. Elles sont initialement conçues pour accompagner des danseurs, une narration. A nous d'inventer notre propre histoire. Une histoire qui pourrait évoquer un univers de répression, de décisions tyranniques. Mais sans que l'époque ni le pays soient marqués, les références sont pour ceux qui pourront les voir, nous avons préféré faire un spectacle intemporel : ni la Russie, ni Staline n'ont malheureusement l'exclusivité du pouvoir de l'arbitraire. Et le monde contemporain possède lui aussi ses despotismes.
Nous souhaitions que les musiciens jouent un autre rôle que le leur, même si leur langue était la musique. Et, à l'écoute des ballets, c'est l'image d'une "usine à musique" qui s'est imposée, dans laquelle les musiciens seraient les ouvriers. Ensuite il restait à imaginer un scénario. Chaque morceau est devenu comme une saynète, un moment de la vie dans cette "fabrique".
Où l'on peut être récompensé, viré, remplacé, où l'on peut s'endormir et rêver aussi… ou encore se rebeller et saboter...
Très vite la présence d'un "contremaître" s'est avérée nécessaire, comme articulation de la narration. Nous nous sommes inspirés des codes du cinéma muet où la musique est parfois parole, parfois illustration des sentiments intimes . Et parfois, le "cheffaillon" parle si près de son mégaphone, et si fort que l'on ne comprend rien, juste on perçoit des rythmes et sonorités slaves, d'où quelques mots s'échappent : "Trop sentimental ! Galimatias ! Nou rabotou !" (ce qui signifie "Au travail !" ).
La forme de ce spectacle, avec ces musiques très imagées, ce texte qui n'en est pas un et un code de jeu qui peut rappeler le style du cinéma burlesque, s'adresse à un public très large, scolaire ou non."
Claire Truche
Entre 1929 et 1936, Dimitri Chostakovitch compose trois ballets. Alors tout jeune compositeur, il a déjà derrière lui une première symphonie accueillie triomphalement...
Les arguments de ces trois ballets sont parfaitement dans la mouvance de la propagande soviétique de l’époque. Le premier, L'âge d’or, nous montre une équipe de football aux prises avec la décadence occidentale lors d’un voyage à l’ouest.
Le boulon nous narre une tentative de sabotage par un ouvrier d’usine licencié, sujet bien en vogue dans une époque obsédée par l’espionnage industriel.
Et l’intrigue du clair ruisseau prend place au sein d’un Kolkhoze et démontre, sur fond de marivaudages et de quiproquos, la supériorité du paysan soviétique sur l’artiste venu de la ville, vaguement contaminé par l’esprit bourgeois.
Que la narration soit un simple prétexte pour la musique ou que celle-ci accompagne un véritable argument, Chostakovitch aura toujours tort face à Staline. Le Boulon était trop subversif, le Clair ruisseau trop léger pour édifier les masses communistes.
La musique des ballets est marquée par une vertigineuse diversité de tons et une riche palette expressive. Comme souvent, l’argument n’est qu’un prétexte à de multiples numéros dansés et, pour Chostakovitch, à de réjouissants exercices de style compositionnels.
On croise le folklore, la musique de cirque, de fanfare, les danses de salon... C’est l’œuvre d’un génial caméléon qui a été pianiste de cinéma dans ses années d’adolescence et a toujours adoré brasser les matériaux les plus divers : musiques de film, de jazz, et même d’opérette.
Mais la légèreté de la forme cache une complexité sous-jacente. Au côté d’une musique riche en éléments comiques et satiriques, on trouve des numéros d’une poésie douce et intimiste. Sous tous ces aspects le propos de Chostakovitch reste toujours d'une grande profondeur.
Cette musique, claire et immédiate, permet chez l’auditeur plusieurs niveaux de lecture. L’enfant sera conquis par la rythmique d’un thème grotesque là où certains percevront une ironie acerbe.
Création 2014
Théâtre musical
musiques de Chostakovitch
Tout public à partir de 6 ans
Durée 1h
Sylvie Dauter : piano, orgue indien
Christine Comtet : flûte, piccolo
François Salès : hautbois, cor anglais
Antoinette Lecampion : violon, alto
Joël Schatzman : violoncelle
Charlie Adamopoulos : dans le rôle du contre-maître
Claire Truche : mise en scène
Pierre-Yves Boutrand : scénographie
Emmanuel Saultdubois : lumière
François Salès : vidéo
Céline Pigeot : costumes
Transcription et écriture : Le piano ambulant
Musique : Dimitri Chostakovitch, "le boulon", "le clair ruisseau", "l'âge d'or"